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Un mois dans le quartier gay de la prison

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Publié par La Dépêche (Maroc) | 5 octobre 2017

Propos recueillis par Youssef Roudaby

 

"Avant de vous parler de mon séjour carcéral, je vais vous raconter comment et pourquoi je suis arrivé en prison. Il y a quelques années, je suis parti signaler la disparition d’un ami au commissariat central de Marrakech. Dès mon arrivée, les policiers me regardaient bizarrement.

 

On m’a demandé de montrer une photo de mon ami. J’en avais une sur le téléphone, que je leur ai tendu. C’est là qu’un des policiers a récupéré mon smartphone et a commencé à le fouiller. Ils avaient bien compris que j’étais gay. On m’a alors demandé si j’étais homosexuel, et moi, un peu naïf, j’ai confirmé. C’est là que la séance d’humiliation a commencé.

 

"Je me suis senti sali jusqu’au bout"

On m’a demandé si j’étais actif ou passif, si je le faisais pour de l’argent. J’ai refusé de répondre. Pour moi, si je n’étais pas pris en flagrant délit, je ne risquais rien. Mais j’ai vite compris que ce n’était pas le cas. Dès que je leur ai confirmé mon homosexualité, les policiers sont devenus beaucoup plus agressifs. On ne m’a pas frappé, mais on m’a copieusement insulté: on m’a traité de 'zamel', de 'donner mon cul à des étrangers'. Je me suis senti sali jusqu’au bout.

 

J’étais sous le choc, J’avais la boule au ventre. J’attendais juste que ça se termine. Ils ont fini par me relâcher, mais ont quand même gardé mon téléphone et ma carte d’identité. On m’a demandé de venir les récupérer le lendemain. Pour moi, j’allais juste venir récupérer mes affaires et ce serait fini.

A mon arrivée, le lendemain matin, ils m’ont laissé poireauter dans un bureau jusqu’à 18 heures. J’étais dans l’incompréhension. A un moment, un flic est venu, il m’a menotté et m’a jeté dans une cellule au sous-sol pendant 72 heures.

 

Je n’en suis sorti que trois jours plus tard, après de multiples interrogatoires, pour être emmené au tribunal pour 24 heures de garde à vue supplémentaires... J’ai vu ma mère entre temps, la pauvre m’a conseillé de ne pas leur dire que j’étais gay. Son visage est devenu blême lorsqu’elle a su que c’était trop tard.

 

Pendant les interrogatoires, on m’a posé des questions stupides, du genre: 'Pourquoi tu as des amis étrangers? Que signifient les photos qu’il y a sur ton téléphone? Est-ce que tu te prostitues?'.

A l’époque, je faisais pas mal de photos de mode, des photos qu’ils ont considérées comme étant pornographiques. J’étais atterré.

 

Malgré les efforts de la société civile pour la dépénalisation de l’homosexualité au Maroc, le code pénal criminalise toujours les relations entre deux personnes consentantes du même sexe au Maroc. Selon l’article 489 du code pénal, "est puni d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 1.000 dirhams, à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu du même sexe". Le ministre des droits de l’Homme, Mustapha Ramid, s’oppose farouchement à la dépénalisation de l’homosexualité.

 

Après la garde à vue, direction la prison vu que j’étais placé en détention provisoire. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais derrière les barreaux alors que j’étais venu déclarer la disparition d’un ami. Mon procès n’a eu lieu que trois semaines plus tard. Verdict? Un mois de prison. Donc je n’avais plus qu’une semaine de plus à purger.

 

Prostitution, trafic de drogue et… meurtre

Nous étions une vingtaine de personnes logées dans le quartier homosexuel de la prison, qui est aussi celui des détenus atteints de maladies contagieuses. Sincèrement, je n’étais pas totalement malheureux d’être logé avec des malades, même si je pouvais attraper une maladie à tout moment. Mais à choisir, j’aurais préféré choper la gale que d’être placé avec les autres détenus hétérosexuels, pas franchement tendres avec les homos…

 

Après, les occupants du quartier gay de la prison ne sont pas des enfants de choeur. À mon arrivée, plusieurs de mes co-détenus ont essayé de me titiller, de me provoquer, histoire de déclencher une bagarre. Mais j’ai pris sur moi. J’ai eu de la chance car le boss de la cellule, qui avait compris que je n’avais rien à faire en prison, avait décidé de me protéger.

 

Mais même si j’étais plutôt rassuré d’être en cellule avec des mecs gays, j’étais quand même toujours sur mes gardes. Car il faut savoir une chose, ces mecs ne sont pas tous condamnés pour homosexualité. De fil en aiguille, ils m’ont raconté pourquoi ils étaient là. Certains ont été emprisonnés parce qu’ils se prostituaient, d’autres parce qu’ils étaient impliqués dans des trafics de drogue, et l’un des co-détenus avait été condamné pour meurtre.

 

23 heures sur 24 en cellule

Dans ma cellule, qui devait faire dans les 12 mètres carrés, il y avait six lits pour 13 personnes. Autant vous dire que j’en ai passé des nuits par terre. Je n’ai eu droit à un matelas miteux que lorsqu’un détenu a été libéré.

 

Même si ma peine était courte, c’était psychologiquement très éprouvant. Il n’y avait aucune activité ou atelier auquel on pouvait participer, on était très isolé. Passer 23 heures sur 24 en cellule, c’est horrible. On ne peut même pas se dégourdir les jambes, on suffoque, on se pose mille questions.

 

L’ambiance était très anxiogène. Quand on a peu d’espace, on finit vite par se bousculer. Des bagarres et insultes rythment le quotidien de la cellule, dans l’indifférence des gardes. Une fois, un de mes co-détenus en a frappé un autre jusqu’à ce qu’il perde connaissance.

 

Dans son dernier rapport sur l’état des pénitenciers marocains entre 2015 et 2016, l’Observatoire marocain des prisons a constaté une "aggravation" de la surpopulation en milieu carcéral. "Celle-ci transforme la vie des prisonniers en un enfer et constitue une entrave à toute politique visant l’insertion", tranche l’organisme. Le centre de détention de Marrakech est celui qui souffre le plus de surpopulation. A fin 2016, le seuil de surpopulation de la prison locale de la cité ocre atteignait 328,42%.

 

J’essayais de minimiser les échanges avec mes co-chambres, mais on était tout de même obligés de communiquer, parce que nous étions entassés les uns sur les autres. Il arrivait même que l’on se prépare un tajine improvisé en cellule, grâce aux plaques chauffantes qui sont permises en cellule. Bien sûr, c’était super dangereux. J’avais toujours peur que la cellule prenne feu, surtout que tout le monde enchaîne clope sur clope à longueur de journée. Ah oui, j’oubliais de vous dire, les cigarettes en prison, c’est vital: elles font office de monnaie derrière les murs. On essayait donc de nous débrouiller une tomate par-ci, un oignon par-là et on se préparait une "gamila".

 

Traités comme des détraqués

Heureusement que ma mère m’apportait le nécessaire pendant les visites hebdomadaires, des livres, de la nourriture et des cigarettes que je partageais souvent avec mes co-détenus. Dans la prison où j’étais, il n’y avait pas de drogues. Les colis étaient minutieusement fouillés. Mais les détenus ont trouvé un moyen de contourner ça. Ils demandaient à consulter un médecin et faisaient semblant d’avoir des insomnies. Ils se faisaient systématiquement prescrire des somnifères et des antidépresseurs, avec lesquels, ils se défonçaient.

 

Les gardiens, qui sont censés maintenir l’ordre en prison, nous traitaient comme si nous étions des fous. Ils nous demandaient d’aller consulter un psychologue parce que selon eux, nous étions des malades mentaux.

Ils nous traitaient de pédés à longueur de journée. Une fois, pour je ne sais plus quelle bêtise, un de mes co-détenus a été enchaîné dans un bureau pendant un bon moment. On l’entendait crier de douleur toutes les deux minutes parce qu’ils se faisait cogner.

 

Une autre fois, un gardien de prison a surpris deux détenus en train de coucher ensemble, ce qui est strictement interdit. Les deux prisonniers ont été tabassés, histoire d’être dissuadés de recommencer. Leurs cris résonnaient dans toute la prison. Dans ma cellule aussi, certains couchaient ensemble une fois les lumières éteintes. Mais bien entendu, le lendemain, tout le monde faisait comme si de rien n'était.

 

Crises d’angoisse et claustrophobie

Les visites hebdomadaires étaient le moment le plus excitant et le plus douloureux à la fois. Chaque jeudi, ma mère venait me rendre visite. Il n’y a qu’elle et mon frère qui savaient que j’étais en taule. Mon frère était hospitalisé à l’époque, il ne pouvait donc pas venir me voir.

 

La visite était très brève, une dizaine de minutes maximum. Autant j’étais content de voir ma mère, autant je ressentais beaucoup de honte. J’essayais donc de la rassurer, elle qui stressait peut-être plus que moi. Je faisais semblant d’être à l’aise, de lui dire que ce n’était pas grave et qu’on me traitait correctement en prison.

 

De retour des visites, je craquais dans ma cellule. Je pleurais à ne plus pouvoir respirer. C’était très dur. Très vite, j’ai également commencé à faire des crises de panique. C’est aussi en prison que j’ai découvert que j’étais claustrophobe. Depuis, je ne peux plus dormir dans un endroit fermé. Et j’angoisse facilement lorsqu’une porte est fermée.

 

La veille de ma sortie, je n’ai pas fermé l’oeil tellement j’étais excité. Je pensais être débarrassé de tout cela, mais ça m’a suivi pendant longtemps. J’ai eu une grave dépression les trois années qui ont suivi ma sortie.

 

"Avant, j’étais le premier à faire la fête"

Des mois après ma libération, je faisais beaucoup de cauchemars. Je rêvais que j’étais encore derrière les barreaux ou qu’on me tabassait. C’était éprouvant. Je dormais très peu. Lorsque quelqu’un me réveillait, j’étais terrorisé.

 

Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé dans ma vie. Je ne suis plus le mec extraverti que j’étais. Avant, j'enchainais les apéros et les soirées, maintenant, j’évite tous les endroits où il y a beaucoup de gays, ça m’angoisse.

 

Les arrestations d’homosexuels au Maroc meublent souvent les pages de faits divers des journaux. En juin 2015, deux hommes ont été arrêtés pour s’être embrassés devant la tour Hassan. Leur identité a été dévoilée à la télévision publique. À Beni Mellal, un couple homosexuel a été lynché à son propre domicile en mai 2016, avant d’avoir été condamné à de la prison ferme. Les victimes ont par la suite été libérées après un procès en appel. En juin 2015, le lynchage d’un homosexuel sur la voie publique à Fès avait suscité l’indignation de la société civile. Ses agresseurs ont été condamnés à quatre mois de prison.

 

Il y a un an, j’ai changé de ville et me suis trouvé un nouveau job. Cela m’a permis de tourner la page. Même si les séquelles se sentent encore. Lorsque je vais dans une administration ou que j’ai besoin d’un papier, je tremble de la tête aux pieds. Je me sens très mal dans ces endroits.

 

Sur les sites de rencontre, seul moyen pour un mec gay de rencontrer quelqu’un, je suis encore très méfiant. Lorsque je parle à quelqu’un, je prends vraiment le temps de vérifier s’il ne me veut pas de mal, si ce n’est pas un flic. Je suis devenu très paranoïaque. Idem avec mes relations avec les gens. J’étais beaucoup plus extraverti avant mon incarcération, je me livrais plus facilement. Je suis très méfiant, encore aujourd’hui, alors que j’étais le premier à faire la fête."



17/10/2017
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