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Rachid o, l'écrivain ébloui

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Rachid O est un écrivain marocain né à Rabat en 1970. Après des études à Marrakech, il part vivre en France. C’est le premier écrivain marocain à se revendiquer homosexuel ; même si, pour ménager sa famille, il a fait le choix d’un pseudonyme, la première lettre de son nom de famille « C’était une manière de me préserver, de me cacher, non pas que j’avais peur, mais pour préserver ma famille. Parce qu’il n'appartient pas qu’à moi seul, nous sommes une famille nombreuse. »

« J’ai écrit mon premier texte quand j’avais 20 ans. A l’époque, loin de moi l’idée de publier. C’était un texte que j’avais donné à lire à des amis, de manière confidentielle. Un ami l’a proposé à un journaliste et ce journaliste l’a envoyé à Philippe Sollers. Dans la foulée, j’ai rédigé trois nouvelles pour L’Infini, une revue littéraire universitaire. Puis Philippe Sollers m’a proposé de faire un recueil (L’Enfant ébloui, 1995). Je n’avais pas du tout l’ambition de devenir écrivain. J’entretenais un rapport de lecteur avec la littérature.

Ses deux premiers ouvrages, autobiographiques, relatent les histoires d'un jeune Marocain qui plaît aux garçons et aux hommes et « prend plaisir à ce commerce ». La dimension pédophile, mais au travers le regard ébloui de l’enfant, révèle insidieusement la place de l’homosexualité au Maroc. La place du père, lucide des désirs de son fils et qui le laisse faire et d’un soi-disant oncle (« l’ami » du père, en fait) hante son écriture.

Accueilli en 2000 comme pensionnaire de la Villa Médicis (Académie de France à Rome), il accède à un statut international en étant traduit en italien, espagnol, anglais, et allemand,…  mais pas en arabe.

En 2013, il reçoit le prix de la Mamounia attribué chaque année à un auteur marocain de langue française. L’année précédente, cette académie pourtant très officielle (Le prestigieux Hôtel de la Mamounia appartient  à la Caisse de dépôt et de gestion, l'Office national des chemins de fer et la ville de Marrakech) avait déjà surpris en couronnant un auteur censuré au Maroc et pour un ouvrage qui traitait aussi d’homosexualité : Le Dernier Combat du captain Ni’mat, de Mohamed Leftah.

Son écriture

« Rachid O. appartient, curieusement, plus à la famille d’Hervé Guibert qu’à celle des écrivains marocains, même si son apparition a changé quelque chose de fondamental dans la conscience que les auteurs et les lecteurs de son pays, et du Maghreb en général, avaient de la sexualité car certaines choses n’étaient jamais écrites.

Sa syntaxe n’est pas très orthodoxe mais d’une étrange poésie. Il semble que Rachid O écrit un peu comme il parle et transpose en français des tournures issues de l’arabe dialectal marocain, ce qui donne la couleur particulière de son expression.

Surtout la fraîcheur de son langage porte une forme candide, et remplie d’innocence.

 

Bibliographie

  • 1995 : L'enfant ébloui, Gallimard
  • 1996 : Plusieurs vies, Gallimard
  • 1998 : Chocolat chaud, Gallimard
  • 2003 : Ce qui reste, Gallimard
  • 2013 : Analphabètes, Gallimard

 

L'enfant ébloui, Gallimard

La famille de Rachid est la plus riche de la ruelle, «c'était chez nous qu'on faisait les meilleurs repas». Son père est boulanger, sa mère est morte, et la sœur de cette dernière l'a remplacée auprès de son père. Benjamin de trois enfants, Rachid est le préféré de son père. Son enfance se déroule au milieu des femmes. «J'étais toujours derrière, derrière ou devant mais je préférais derrière car quand elles étaient entre elles à parler des hommes et qu'elles s'apercevaient que j'étais là, elles disaient: Qu'est-ce que tu fais là? Va jouer avec les garçons. (...) Peu à peu, quand je grandissais, quand elles parlaient d'un homme elles en parlaient au féminin pour me tromper et moi j'étais content parce que je voyais bien que c'était un homme et qu'on me prenait pour un enfant. (...) Entendre parler des hommes est devenu un mystère pour moi, c'était ma fête, mon feuilleton, mes épisodes préférés.»

Cinq récits composent l'Enfant ébloui. Tous parlent de l'enfance, de l'adolescence, des drames familiaux (les fugues, l'enfant illégitime de la sœur, le grand-père abusif), de la figure adorée du père, des amours. «Je suis tombé amoureux d'un garçon, je crois que je préférais ça comme occupation ».

Plusieurs vies, Gallimard

Rabat, Tanger, Zurich, Paris. Plusieurs vies se croisent et se décroisent. Tendresses recherchées et partagées, tendresses déçues. Dans une langue simple, presque naïve, Rachid raconte ses amitiés, avec Vincent en Suisse, avec son oncle (« l’ami » de son père, en fait), avec Alexis à Paris ... Rien ne se passe vraiment, mais le désir et le souvenir sont si forts. Une douce errance hante ces hommes sans inquiétude. Ils cherchent et trouvent, à leur façon, un peu d’affection. Ce recueil de six nouvelles mérite son titre. C’est comme une ballade douce-amère entre des villes-lumière et des chairs avides. 

Au sujet de son « oncle » : «Son apparition était perpétuellement comme une fête. Toujours surprenant, si grand, si délicat, et, par-dessus tout, tellement beau. Sa beauté ressemblait à tout ce qui venait de lui et à tout ce qu'il pouvait dire.» Pour cet «oncle» dont il recherche sans cesse la compagnie et la tendresse, le gamin de 10 ans sent naître une émotion particulière, grandissante, et qu'il n'a «compris que plus tard». Quand son «oncle» lui révèle la vérité, il dit à l'adolescent qu'il a «de la chance d'être né et d'avoir grandi, enfant heureux, au Maroc»: «Je trouvais ça tout bizarre, comme si lui venait d'ailleurs.»

Chocolat chaud, Gallimard

Rachid O quitte l’autobiographie pour composer une vraie fiction, m^me si certains personnages font écho aux premiers ouvrages.
Il s’agit de la passion homosexuelle d’un adolescent marocain pour un jeune français qu’il ne connait pas encore. Le Chocolat chaud, c’est cette boisson exotique qui symbolise la France pour un petit marocain.
Et deux autres amitiés : celle pour Youssr, un autre adolescent, et celle pour un vieil aveugle qui « trouvait plus poli d’être heureux ». Le lieu de ce roman, juste suggéré, est probablement Marrakech. Peut-être n’a-t-on jamais écris aussi bien que dans ce roman, l’âme de cette ville où le jeu des sentiments transcendent les identités sexuelles, les âges, et les origines culturelles.

Ce qui reste, Gallimard

Pendant sa résidence  Villa Médicis, Rachid revient sur son parcours d’écrivain, et raconte des anecdotes à Rome. «Juste, avant de continuer, je voudrais remettre quelque chose en place : je construis malgré moi mon image à vos yeux, ne soyez dupes d'aucun de mes livres. Je me suis résigné depuis longtemps à laisser mes sentiments précéder mon esprit. Je me vois, spectateur complice, guider mes désespoirs et mes euphories comme un peintre compose un portrait. 

Analphabètes, Gallimard

Ecris après un long silence de 10 ans. "J’ai été analphabète pendant dix ans. Je n’ai rien su écrire, je manquais de ce livre. J’ai perdu des êtres aimés et rencontré d’autres gens qui se sont mêlés à ma vie, mon père qui n’arrivait plus à habiter ce monde-ci, un jeune homme qui cherchait à être un bon frère, une logeuse avide de mettre tout le genre humain à l’abri, des Marocains et des Français qui ne se comprenaient pas ni ne comprenaient leurs sentiments. Tous ces analphabètes, c’est nous." 

 « Je fouille dans une masse incroyable d’individus, de sensations, de notes et de souvenirs à la recherche de quelque chose.» En réalité, les histoires surgissent comme par enchantement.

Une femme qui avait croisé la route d’une jeune fille enceinte dans un jardin public et celle-ci a proposé de donner son bébé une fois né. Ce qui fut fait, pour le plus grand bonheur de la mère adoptive, incapable, vingt ans plus tard, d’apporter le moindre renseignement au garçon sur celle qui l’a mis au monde. «J’avais appris une autre façon d’être une mère, une façon d’être un fils», écrit Rachid O.

La patronne d’un hôtel qui a choisi son mari contre sa famille et qui en a subi les conséquences. «Je me souviens que mes yeux ont été éblouis lorsque je l’ai vu pour la première fois», raconte-t-elle. Rachid O. se contente de la faire répéter («Pardon ?»), parce son premier livre s’appelait l’Enfant ébloui. Cette femme est dépositaire d’«histoires de sorcellerie et de mariage» comme tout le monde au Maroc. Mais elle a une particularité bien à elle : «Je crois que je suis la seule propriétaire d’un hôtel dans cette ville qui aime les homosexuels, parce qu’il ne faut pas croire, tout le monde ici pense qu’on doit les brûler.»

Analphabètes évoque plusieurs ignorances : les Occidentaux n’apprennent pas la langue arabe, les Marocains rejettent celle du désir homosexuel. Plus généralement, ne sommes-nous pas tous confrontés à des langues étrangères, qu’elles soient celle de l’enfance, ou celle des sentiments ?

« Ce livre est un peu pour moi le livre de la convalescence. J’ai perdu des êtres, vécu des deuils, je me suis senti mal, et j’ai fini par comprendre qu’il fallait récupérer ma voix, cette voix qui faisait la singularité des précédents livres. Et que je comprenne que ma place dans l'écriture était celle de ma vie entre la France et le Maroc, et que je conserve cette position-là, à mi-chemin entre l’oral et l’écrit. »

 

Propos de Rachid O

« J’ai eu la chance de vivre dans une maison avec une famille française. Il m’arrive encore, quand je rencontre des gens, au fil de la conversation, de me rendre compte que je me sens comme en transe, tant j’adore cette langue, après l’arabe bien sûr ! »

« Je pense que je me situe entre le conteur et l’écrivain. Ce qui m’intéresse, c’est que dans les deux postures, je souhaite être un personnage «Pendant ma première année à l'école, on avait une professeur qui posé la question à toute la classe de ce qu'on voulait devenir. Moi, je me suis dit "Je n'ai rien à dire ». Tout à coup, j'ai pensé que ce que je voulais, je n'osais pas le dire, c'était d'être le héros d'un livre, le personnage principal dans le roman d'un écrivain.»

« Pour résumer mon adolescence, j’aimais aimer les garçons et lire des livres. Je suis arrivé à écrire, mais d’abord je voulais venir en France où, par pur hasard, j’ai fait deux livres autobiographiques, d’abord L’enfant ébloui, puis Plusieurs vies, à travers lesquels je suis revenu à la nostalgie de mon enfance et tout ce qui l’entourait. »

«  Je ne joue pas la discrétion pour avoir une posture étrange. Je suis, de nature, assez réservé, voire sauvage. Je ne fréquente pas les milieux littéraires français. Je préfère écrire que parler de l’écriture.” 



26/01/2014
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